On regarde le bateau couler

« Notre société brisée regarde le bateau couler en continuant de se battre, plutôt que d’unir ses efforts pour boucher le trou. »

On a tous des opinions. Des idées bien ancrées. Des convictions qu’on défend comme si notre vie en dépendait.

D’ailleurs, à la fin de cet article, tu vas avoir une opinion. Sur ce texte. Sur moi. Sur ce que j’essaie de dire. Et c’est normal.

Une opinion, c’est une réaction rapide à ce qu’on perçoit. C’est un reflet de nos expériences, de nos croyances, de nos blessures parfois, mais rarement un produit d’une vraie réflexion approfondie.

On s’en fait une en quelques secondes. Avec peu d’informations. Parce que le cerveau aime ranger les choses. Classer. Juger. Se sécuriser. Mais parfois… il va un peu trop vite.

Regarde autour de toi. À droite, à gauche, en haut, en bas : peu importe le sujet, on se retrouve rapidement dans des camps opposés. Extrême droite contre extrême gauche. Pro-science contre anti-science. Pro-système contre conspirationnistes. Plus de nuance. Plus d’entre-deux. Et surtout, plus de débat possible sans que ça s’enflamme. On se braque. On se juge. On s’insulte. On se divise.

Et si on avait tous tort?

Pas dans le sens accusateur. Mais dans un sens plus humble, plus vaste : et si la vérité nous échappait tous un peu? Si ce qu’on défendait avec tant de passion n’était qu’une perception parmi d’autres? Parce que, soyons honnêtes… la majorité de ce qu’on croit savoir… on ne le sait pas. On le pense. On l’a entendu. On l’a interprété. On l’a filtré à travers nos valeurs, nos peurs, notre vécu. Mais ce n’est pas la vérité. C’est simplement notre vérité. C’est deux choses bien différentes.

Cet article ne parle pas d'Elon Musk.

Elon Musk lève le bras dans une foule, dans un geste que certains interprètent comme un salut nazi. L’image fait le tour du monde. Les médias s’en emparent. Les réseaux s’enflamment. Et pour beaucoup, c’est réglé : il est nazi. Pas de débat. Pas de nuance. Pas d’autre option.

De l’autre côté, la foule se lève aussi, convaincue que Musk n’a rien fait de répréhensible. Pour eux, c’était un simple geste du cœur, une façon de saluer et remercier son audience. Ils accusent les médias d’avoir volontairement figé l’image pour nuire à sa réputation. Ils partagent d’ailleurs des photos de politiciens, bras levé, pour illustrer leur point.

Musk, de son côté, laisse entendre sur sa propre plateforme sociale que ce n’était pas un salut nazi. Il ridiculise les accusations, parle de « propagande des médias » et qualifie le réflexe du « tout le monde est Hitler » de tactique usée.

Mais voilà : entre ceux qui sont contre lui, ceux qui sont pour lui, et ses propres réactions… on ne sait plus à qui faire confiance. On doute. On se méfie. Et si on est honnêtes, c’est parce qu’au fond… on sait qu’on se fait manipuler, à gauche comme à droite, depuis la nuit des temps. En prime, les sources d’informations qui nous entourent prennent position, pour ou contre, ce qui alimente la division avec férocité. 

Alors on choisit un camp. On croit l’un ou l’autre, en fonction de ce qu’on veut croire. De nos valeur. De notre intuition.

Mais la vérité… c’est qu’on ne sait pas. On pense savoir. On interprète.

Et c’est là que le vrai problème commence : on prend cette incertitude, cette perception, et on en fait une certitude. Une bannière. Un drapeau de guerre.

À partir de là, on se met à s’haïr. Pas juste Musk. Ceux qui l’aiment. Ceux qui le détestent. Ceux qui conduisent une Tesla. Ceux qui ne veulent plus leur parler. Ceux qui défendent la liberté. Ceux qui défendent l’éthique.

Ce texte n’est pas là pour parler d’Elon Musk ou prendre position. Il est là pour montrer l’absurdité de nos comportements collectifs, sujet après sujet, bataille après bataille. Le même scénario se répète continuellement. 

On regarde tous le même événement à travers des lunettes différentes

Prenons un autre exemple, plus sensible encore : la pandémie de COVID-19.

Pour certains, les mesures étaient nécessaires, fondées, et prises dans l’urgence pour sauver des vies.

Pour d’autres, elles étaient excessives, incohérentes, et ont causé des dommages collatéraux profonds.

On a parlé de science, souvent, mais on a oublié de parler du fait que la science n’est pas une vérité fixe : c’est une démarche en constante évolution.

Aujourd’hui, avec du recul, on voit bien que beaucoup de certitudes de l’époque ne tenaient pas la route. Ce que l’on affirmait avec aplomb n’étaient, en réalité, que des hypothèses. On croyait savoir, mais on ne savait pas.

Tous ceux qui n’ont pas reçu le vaccin ne sont pas morts de la COVID. Et tous ceux qui l’ont reçu ne sont pas morts du vaccin.

Mais malgré ce flou, on a choisi des camps sur le moment, sur le coup de la panique. On a exclu. On a stigmatisé. On a traité certains de complotistes, d’autres de moutons. On s’est divisé à un point tel que des familles se sont brisées, des amitiés détruites, des liens rompus… pas à cause du virus, mais à cause de nos certitudes respectives.

Tout le monde tentait de naviguer dans l’incertitude. De protéger ce qu’il croyait important. De survivre, à sa façon. pas pour mal faire, mais parce que réfléchir est mal vu. Douter est une faiblesse.

On vit dans une société où il faut choisir son clan rapidement parce que chaque sujet se transforme en guerre sociale. 

La vraie menace, c’est cette incapacité à se parler.

Nous sommes devenus incapables d’écouter. Incapables de simplement se dire :
“Et si je ne savais pas? Et si j’avais encore des choses à comprendre avant d’avoir une opinion?”

Mais c’est quoi, au fond, le danger d’oser se questionner? Le regard des autres? Le jugement social? Et pourtant… on est tous ignorants, chacun à notre manière. Très peu de gens peuvent prétendre vraiment savoir. Et il n’y a aucune honte à ça.

Ce qui est triste, c’est de refuser le doute. De s’enfermer dans des certitudes qui nous divisent. Parce que pendant qu’on se bat dans la poussière des commentaires, dans la rage, le vandalisme, la haine, le vrai jeu continue au-dessus de nos têtes.

On se tape dessus pendant qu’on creuse tous dans le même bateau.

Et ce monde n’a pas besoin de plus de jugements. Il a besoin d’un peu plus de cœur. De plus d’écoute. De plus d’amour.

Sinon, le bateau va finir par couler. Et on va tous s’y noyer.

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